Lettre à Patrizia


Chère Patrizia,

De toutes les personnes que je connaisse, tu es la seule à capter avec subtilité, profondeur et vraie humanité l'intensité de l'ébranlement que provoque chez moi toute cette longue histoire douce-amère.
 chez toi, une sensibilité  à... l'âme. 
Un contact, une communion directe avec cet invisible qui porte, en même temps que l'amour, l'insondable menace qui guette celui qui veut s'en approcher.
Ce goût pour la recherche incessante de ces profondeurs - recherche qui constitue, je crois, le seul sens de la vie - je pense que nous la partageons. Et pour moi, c'est à chaque fois un grand réconfort de la reconnaitre et de la palper chez l'autre - car je ne suis plus seule.
Le monde que nous traversons est si chaotique qu'il élimine ce chaos primordial qui est à l'origine de chaque naissance de l'homme: naissance à soi-même, perpétuel mouvement.
Chaque pas que nous faisons est induit par la puissance souterraine de ce long fleuve de vie et peu s'arrêtent pour en saisir la pulsation, écouter son appel.
Tu fais partie de ceux-là. En toi, en nous, nous pouvons nous reconnaitre hommes.

La même puissance oeuvre dans l'amour comme dans le meurtre: cela nous ne savons, nous le sentons, l'ayant expérimenté chacune dans nos corps. Et cela ne nous fait pas peur.

Parfois je me dis que je peux disparaître d'un coup et partir et alors la peine est immense car, si je ne dis pas ces choses là à qui peuvent l'entendre, je serais alors partie dans une grande solitude.

Il y a une vieille histoire juive qui raconte qu'un ange, lorsque le bébé sort du ventre, pose ses deux doigts sur la bouche et le menton de l'enfant, afin qu'il taise à jamais ce de quoi il est né.
Avec qui tu sais, l'appel a été si fort, que la bouche s'est ouverte. Et nous avons touché le secret.

Toute vie connait des actes fondateurs et lorsque ça arrive, il y a un avant et un après, et plus rien n'est pareil: le bouleversement a la puissance d'un volcan. 

Je ne sais pas pour lui, mais de mon côté, depuis mon corps, voilà quelle a été notre histoire. Et si je disparaissais subitement, sans que nous nous soyons retrouvés, je voudrais que ce soit toi qui le lui transmette car alors je ne serais plus.
Que tu lui fasses lire cette lettre et d'autres choses, ces lettres et poèmes que je ne lui ai jamais envoyés car il n'est plus là, en face pour les recevoir. Ma demande peut te paraitre insensée 

Je ne sais pas si tu vas accepter, mais cela me serait d'un grand réconfort si tu disais oui.

Je t'embrasse